dimanche 20 mai 2007

Révolution Robotique : la fin du travail et le retour à l'abondance ?

Dans la plupart des pays industrialisés, une énergie considérable est dépensée par les gouvernements pour rétablir ou maintenir le "plein emploi". Les raisons de cette focalisation sont multiples. D'une part, le plein emploi est un bon facteur de consommation et de croissance et donc de santé de l'économie, et d'autre part il est également un élément psychologique important à la fois pour la consommation à l'intérieur du pays, mais également pour les relations commerciales avec les autres pays. Enfin, le travail est une valeur centrale dans notre société actuelle et en être démuni est à ce titre perçu comme un grave problème pour l'individu comme pour la collectivité.

La question qui se pose naturellement est de savoir si le plein emploi à tout prix est réellement préférable à l'obtention pour chacun d'un travail décent et épanouissant. Les avis sur la question divergent aussi bien parmi les individus qu'au sein des différents gouvernements de la planète.

Même si à titre personnel je penche largement en faveur du travail décent, il n'est pas dans mon propos de débattre à ce sujet. Je souhaite aborder la question sous un autre angle qui est tout simplement de chercher à déterminer si la politique du plein emploi est vraiment réaliste. Pour cela, nous allons prendre du recul, et considérer l'évolution de la civilisation humaine depuis ses débuts. Accrochez-vous, nous partons pour un voyage dans le temps, à destination 10.000 ans dans le passé...

Un âge d'abondance

Il y a 10.000 ans, nos lointains ancètres avaient une vie difficile, mais simple. Ils devaient se nourrir en allant cueillir des fruits, des baies et des racines, en chassant et en pêchant. Contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, les conditions de survie n'étaient pas très rudes à la fin de l'âge de pierre (le paléolithique), on parle même d'un "âge d'abondance". Avec les changements climatiques et la fin de la dernière glaciation, l'abondance y était telle dans certaines régions du monde que les groupes d'humains n'avaient plus besoin de se déplacer pour trouver leur nourriture ; ils se sédentarisèrent. C'est le début d'une époque qu'on appelle le néolithique (de 8.000 ans av. JC à environ 1.000 av. JC). Contrairement à une idée répandue, la sédentarisation précède en effet l'apparition de l'agriculture.

En présence de cette nourriture abondante, il a été estimé que les activités de chasse-pêche-cueillette nécessitaient une durée de travail quotidien de 3 à 4 heures. Plutôt sympathique ma foi. D'autant plus que ces activités (cueillette, chasse, pêche) sont de nos jours considérées comme des loisirs (pour la chasse et la pêche, je me dois cependant de préciser que je n'y vois personnellement aucun aspect ludique) !

La civilisation doit-elle sa naissance aux seins des femmes ?

Pour des raison encore mal comprises, la sédentarisation au néolithique eut pour conséquence une explosion de la démographie. Il est possible que cela soit dû à une augmentation de la fertilité des femmes. Ces dernières n'ayant plus à porter les enfants en bas-âge de nombreuses heures quotidiennement comme c'était le cas dans les sociétés nomades, elles les allaitaient peut-être moins longtemps. Or l'allaitement réduit la fertilité des femmes. D'autre part, en se prémunissant des famines par la constitution de stocks, ce qui n'était possible qu'en étant sédentaire, le taux de mortalité était probablement plus faible qu'avec le nomadisme.

Quoi qu'il en soit, l'accroissement démographique causa les premières destructions de l'environnement par l'homme : déforestation, et appauvrissement des ressources locales. C'est probablement pour cette dernière raison que l'élevage et l'agriculture remplaçèrent progressivement la chasse et la cueillette, car ils permettent d'obtenir de bien meilleurs rendements.

Entre parenthèses, on constate que c'est dès les premières apparitions de la civilisation que sont apparus les problèmes d'environnement, et également un peu plus tard les guerres (il y a environ 6000 ans), peut-être pour des problèmes de conquête de territoires car l'accroissement de la population réduisait les territoires, conduisant ainsi à l'affrontement entre groupes voisins. Concernant les guerres cependant, il existe une controverse et certains prétendent qu'elles sont bien antérieures au néolithique.

Faire de la philosophie est-il un travail ?

Et c'est avec l'apparition de l'agriculture et de la sédentarisation, puis de la spécialisation (artisanat, récolte de matières premières, élevage, etc.) qu'est née la notion de travail. Le premier métier de l'homme, l'agriculture, est un métier difficile, qui demandait beaucoup plus de travail quotidien. Certaines sources parlent d'une douzaine d'heures quotidiennes, soit 3 à 4 fois plus que l'activité de cueillette et de chasse.

Une fois que l'agriculture, l'artisanat et le commerce furent développés et en dépit d'une succession de régimes divers, d'empires, de monarchies, de républiques, les choses changèrent relativement peu au niveau de l'organisation économique de la société : il s'agit de produire de façon répétitive des biens ou des services d'un certain type, pour en échange avoir un moyen (le plus souvent de l'argent) de récupérer d'autres sortes de biens et de services.

On considère en général que les gens travaillaient en moyenne moins par le passé que maintenant, mais de façon plus irrégulière. Ils avaient dans l'année des périodes d'activité intense, puis des périodes de repos relatif. Cependant il est très difficile d'avoir une estimation réaliste, et de nombreux facteurs doivent être pris en compte, notamment l'esclavage. L'esclavage était le seul moyen dont disposaient les sociétés pour affranchir leurs citoyens du travail, et l'on constate qu'un bon nombre de civilisation succombèrent à cette tentation.

Dans la civilisation grecque antique par exemple, le travail, pris dans le sens d'une activité répétitive liée au besoin de satisfaire des besoins matériels récurrents, n'était absolument pas conçu comme noble et utile à l'individu, mais au contraire aliénant et dégradant, comme l'explique Aristote. Il était considéré qu'un être humain qui travaillait ne pouvait revendiquer le statut d'homme, qui consistait notamment à s'affranchir des contraintes imposées par la nature, comme le travail pour assurer sa subsistance matérielle. Les grecs avaient des esclaves qui se chargaient des tâches matérielles, et pour leur part se contentaient d'activités artistiques et intellectuelles, ce qui a débouché sur la fabuleuse culture de la grèce antique et ses grands philosophes.

Des machines à la place des esclaves

Nous faisons maintenant un grand bond vers le présent et nous retrouvons à l'ère industrielle, vers le début du XIXème siècle. Les effets de la technologie sur le monde du travail, qui n'avaient jusque là été qu'imperceptibles, deviennent majeurs. La productivité se met à augmenter rapidement, et les conditions de travail s'améliorent progressivement.

En conséquence, durant les deux siècles qui ont suivi, globalement, le temps de travail a diminué (dans les sociétés industrialisées, Europe et Amérique du nord principalement), avec la diminution des horaires quotidiens par paliers, pour arriver à une journée moyenne de 8 heures, et l'augmentation des jours de repos, initiée avec le décadi (un jour de repos sur dix) du calendrier républicain et poursuivi notamment avec l'apparition des congés payés puis l'allongement de leur durée pour atteindre 5 semaines en France, en 1982.

La semaine de 39 heures arrive la même année, puis la semaine de 35 heures à partir de 1998. Cette dernière n'est pas appliquée systématiquement mais de toute façon, la durée "officielle" de travail n'est pas le paramètre à étudier. C'est le durée réelle du travail qui importe, qu'on appelle durée effective. Ainsi en France, elle serait actuellement de 39 heures pour la population travaillant à plein temps, et de 36,3 heures pour l'ensemble des emplois (*).

Ainsi, on peut dire que les machines dans notre société jouent un rôle comparable (bien que de moindre ampleur) à celui des esclaves dans la grèce antique : ils nous permettent de travailler moins et d'avoir plus de temps à consacrer à nos loisirs. Evidemment, il s'agit d'une vision globale de la société, pour de nombreux humains la société des loisirs reste un concept abstrait sans rapport avec leur quotidien.

L'invasion des machines

La mécanisation et l'automatisation ne se sont pas produits au même rythme dans les 3 secteurs de l'emploi. Le premier touché a été le secteur primaire, où l'automatisation est plus simple. Fabriquer des machines agricoles plus productives que des humains est relativement aisé comme l'atteste l'invention de la moissonneuse-batteuse dès 1834 puis son usage en France à partir de 1866. Ce secteur est ainsi passé d'une part supérieure à 50 % en 1850 à 4% en 2002, avec une très forte diminution dans les 50 dernières années due à de spectaculaires augmentations de la productivité tandis que la demande ne dispose que de peu de marge de progression. Dans ce secteur les machines ne peuvent qu'inexorablement s'acquiter d'un nombre de tâches toujours plus grand, sans possibilité de création de nouveaux emplois.

La part du secteur secondaire a d'abord augmenté, car la révolution industrielle a créé de nombreux nouveaux métiers et produits manufacturés. Dans ce secteur cependant la demande, même si elle est susceptible d'évoluer lorsqu'apparaissent de nouveaux produits, est fortement pénalisée à un moment ou un autre par la saturation du marché, lorsque la plupart des foyers ou des individus sont équipés. L'automatisation est plus complexe techniquement et elle doit s'adapter continuellement à de nouveaux besoins et donc de nouvelles technologies, c'est pourquoi elle fut plus lente à se développer. Mais depuis le milieu des années 70, la part du secondaire décroît à son tour. Elle est ainsi passée de 25 % en 1850 à 37,5 % en 1970, et se situe de nos jours aux alentours de 20 %. La création de nouveaux produit ne parvient plus à contrebalancer les progrès de la robotique et de l'informatique et les effets de saturation, et la part de l'emploi dans le secteur secondaire semble vouée à décliner.

Reste donc le secteur tertiaire, le secteur des services. Même s'il dispose d'une croissance propre, son augmentation spectaculaire dans la répartition des emplois est en grande partie due à la réduction des emplois dans les deux autres secteurs, elle même due en partie à ce que l'on appelle la "tertiarisation" de l'économie, c'est-à-dire l'utilisation croissante de sociétés de services (publicitaires, cabinets de conseil, location de matériel, ...) dans les industries. Néanmoins, l'automatisation y est perceptible également dans certains domaines, comme par exemple le domaine bancaire. En revanche, il est vrai que le secteur tertiaire ne souffre pas, comme les deux autres secteurs économiques, de phénomènes de saturation puisqu'il est possible d'utiliser un grand nombre de fois le même service et que le domaine des services possède un très grand potentiel de création de nouveaux besoins.

C'est donc indéniablement dans le secteur tertiaire que va se dérouler le futur de l'évolution du monde du travail dans les pays fortement industrialisés. Il est malheureusement à peu près certain qu'une grande partie des métiers du secteur tertiaire (en nombre de postes) n'ont pas d'avenir. C'est le cas en particulier pour les métiers peu qualifiés tels que les guichetiers ou les caissières. La mutation est déjà pleinement engagée comme l'attestent la raréfaction des guichets dans les banques, ou l'apparition des premières caisses de supermarché sans caissières. La disparition de ces métiers n'est pas un mal en soi car il s'agit pour la plupart de métiers très pénibles et sans intérêt.

Quelques domaines semblent encore préservés de la mécanisation et de l'automatisation. Il s'agit notamment de tous les métiers liés à la créativité et au travail intellectuel, ainsi que tous les métiers où un contact humain est nécessaire : publicitaires et sociétés de marketing, écrivains, musiciens, chercheurs, psychologues, assistantes sociales, infirmières, médecins, informaticiens, ... Pour ces derniers, le cas est particulier. Ils sont en effet au coeur de ce processus d'automatisation puisque ce sont eux qui produisent les programmes informatiques qui nous remplacent peu à peu. Mais on peut aisément imaginer qu'un phénomène de saturation aura lieu lorsque la majorité des activités humaines aura été automatisée. Cependant, il semble très délicat de déterminer le temps que cela prendra. Il faudrait dans un premier temps déterminer jusqu'où les machines peuvent remplacer les humains.

La révolution robotique

A cet égard, il faut considérer que nous sommes à l'aube d'une nouvelle révolution technologique, celle de la robotique. Mon sentiment est que la robotique et l'Intelligence Artificielle conjugées vont "faire des ravages" dans le monde de l'emploi.

Certes les robots existent déjà depuis longtemps, mais ils sont pour l'instant à la préhistoire de leur développement. Typiquement, les robots les plus répandus actuellement sont ceux des chaînes de montage. Il s'agit de robots exécutant toujours la même tâche et qui ne sont pas mobiles : ce sont les objets qui défilent devant eux l'un après l'autre, en suivant la chaîne de montage. Cependant, l'évolution de l'informatique et notre niveau technologique général actuel permettent maintenant de réaliser des machines d'un autre genre. Les nouveaux robots seront donc mobiles, il pourront aller librement d'une tâche à une autre ; ils seront autonomes, capables de prendre des décisions ; ils seront généralistes, et utiliseront des outils pour réaliser différentes tâches, tout comme nous. Enfin, ils seront souvent humanoïdes, car les humains préfèrent les formes humanoïdes, voire les androïdes.

Il est probable que ce sera grâce au grand public que leur développement massif sera rendu possible. Les premiers robots à destination du grand public et préfigurant l'avenir existent déjà. Il s'agit des robots domestiques (aspirateur, tondeuse à gazon, mais aussi assistances aux personnes âgées, aux malades, etc.), et des robots ludiques. Les premiers vont permettre à l'industrialisation d'améliorer graduellement les capacités des robots, leur capacités de représentation du monde, leurs algorithmes de déplacement, etc. Les seconds vont banaliser la production des servo-moteurs et autres pièces mécaniques indispensables à la robotique, et donc baisser leur coût. Les deux types de robots vont également contribuer à nous habituer à leur présence.

Selon toute vraisemblance, c'est à partir du Japon que déferlera la révolution robotique. Les japonais sont très friands des nouvelles technologies, et culturellement prêts à voir se développer la présence de robots parmi eux. C'est pour cela que ce sont des sociétés japonaises qui mènent la danse en matière de robotique, comme le prouvent les démonstrations fréquentes des nouvelles capacités des robots Honda ou Sony, Toshiba, Nec, Mitsubishi, Hitachi, etc. Il y aurait actuellement d'ores et déjà 8 millions de robots domestiques au monde, dont la moitié au japon. Certains experts prévoient l'apparition d'un marché de masse pour ce type de robots dès 2010.

Lorsqu'ils seront devenu suffisamment sophistiqués, ce qui devrait se produire d'ici une dizaine d'années environ, peut-être moins, il pourront alors remplacer progressivement les humains pour la plupart des activités. Que nous restera-t-il alors ? Jusqu'où les machines sont-elles capables de nous remplacer, ou plutôt de nous supplanter, puisque c'est avant tout pour leur supériorité en termes de rendements ou de coûts qu'elles sont utilisées ?

I, Mathematician Robot

Les avis sur la question divergent. Il s'agit de déterminer si une intelligence artificielle est capable de supplanter les humains dans tous les domaines. Mon point de vue sur la question est modéré, voire sceptique. Je pense que les ordinateurs, tels qu'ils sont conçus actuellement, ne parviendront probablement jamais à remplacer certaines facultés humaines telles que la capacité de faire des mathématiques (une faculté fascinante qui fera l'objet d'un autre billet sur ce blog). Cependant, des spécialistes ont un avis différent et estiment que tout ce qu'un être humain est capable de faire sera un jour reproductible par un ordinateur ou un robot, et que ces derniers sont donc également capables de remplacer nos mathématiciens, nos chercheurs, nos psychologues, nos enseignants et pourquoi pas nos artistes, nos écrivains, nos cinéastes.

Il suffira d'une poignée de spécialistes, de chercheurs, pour créer des systèmes experts qui seront téléchargés sur des milliers ou des millions de robots et les rendront spécialistes dans un nombre arbitraire de domaines (fermentation des vins ou des fromages, médecine, horticulture, exploitation forestière, minière, pétrolière, réparation de machines, mécanique, etc.). En quelques heures, un "RS" (robot spécialisé) pourra être reconverti d'un domaine à un autre, alors qu'il faut des mois pour un humain... La logique est implacable, nous serons inexorablement évincés de la plupart des corps de métiers.

Comment l'humanité va-t-elle aborder ce cap ? De façon proactive et en veillant à ce que la répartition des richesses soit maintenue à un seuil tolérable, au fur et à mesure qu'une portion croissante de la population sera non-salariée ? Ou, ce qui est plus probable, de façon passive et en se contentant de faire des réformes pour traiter le symptôme, le chômage, par exemple en baissant le coût du travail, sans même tenter d'avoir une vision sur le long terme ?

Qu'on ne se leurre pas, la France a tout à fait les moyens de fournir un niveau de vie acceptable à chacun de ses habitants, et la production mondiale a tout à fait les capacités de fournir un niveau de vie décent (de quoi se nourir, se vêtir, se soigner) à la population mondiale. La misère dans le monde et dans notre pays n'est pas un problème de richesse, mais un problème de répartition.

Retour à l'âge d'abondance ?

Après 10.000 ans de labeur, l'humanité est sur le point de parvenir à un niveau de technologie suffisamment avancé pour entrevoir la possibilité de nous décharger du fardeau du travail. Si l'homme a probablement besoin de créer, d'inventer, d'innover et de se sentir utile, il n'a certainement pas besoin ni vocation à subvenir par lui-même à ses propres besoins, ou à répéter inlassablement les mêmes gestes. Cela correspond plus ou moins à la distinction qui est faite entre "oeuvrer" et "travailler" et qui existe dans de nombreuses langues. Le travail (issu du mot latin tripalium, qui est un instrument de torture) n'est pas une fin en soi, il n'apporte rien par lui-même mais est juste un moyen pour obtenir de l'argent. Les hommes peuvent tout à fait "survivre" en ne travaillant que quelques heures par semaine, passant le reste de leur temps à s'occuper de leurs loisirs, de leurs familles, et de leurs oeuvres.

Alors que les grecs ont "profité" de leurs esclaves pour s'affranchir du travail et se vouer à l'art, à la philosophie et aux mathématiques, à quoi l'humanité de demain va-t-elle consacrer son temps lorsque les robots l'auront pratiquement affranchie du travail ?

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(*) Les chiffres annoncés sont contradictoires. Parfois, il est dit que la France est l'un des pays où l'on travaille le plus, et parfois, l'un des pays où l'on travaille le moins ! De nombreux éléments entravent la validité des comparaisons entre pays, notamment des différences dans le calcul du PIB, des difficultés pour obtenir des données statistiques fiables, etc. Tous s'accordent cependant à dire que la productivité y est excellente.

Crédits photo: (1) Angélique et Guy Bescond

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